la fonte

la fonte

la fonte

une image

incessante

qui tourne à l’infini dans ma tête

l’image d’une fin prévisible

que j’avale avec peine

que je ne digère pas

une fin évitable

une fin martelée

dans le même message

dans ma tête en boucle

l'image de la

fonte

le cheminement en ligne droite

la fin de l’Arctique

qui goutte à goutte s’effrite

qui goutte à goutte fond

lente

le cercle polaire

qui tourne en rond

perd son éclat

s’enroule serré dans l’étau

la glace antique

dans son cercle

crie

cède sous la carcasse

des poids lourds

craque

cesse de se perpétuer

dans son effet miroir millénaire

hurle à son reflet de rester là

à l’infini

de ne pas disparaître

de ne pas se dissoudre

et c’est cette image dans ma tête

de la glace ne restant pas silencieuse

devant le froid qui la quitte

et c’est l’effet en boucle

de son reflet

le socle où le soleil reste

en équilibre

l’Arctique où les rayons

se répercutent

dans leur propre regard

pour continuer leur route

pour faire le tour de la Terre

ça n’arrête pas de tourner

la Terre à peine en équilibre

et le message s’alourdit

le sol gelé continue sa course

contre la montre

poursuit sa route

dans sa persécution subite

s’amincit d’une couche à l’autre

le sel l’eau s’évaporent

et en boucle toujours

dans la bouche le sel l’eau

ce mantra répété

dans toutes les langues

dans tous les mots

où s’annoncent la perte

la fin

la

crise climatique

crise climatique

le dégel dans la bouche

le sel l’eau la débâcle

le sol figé en permanence

dans le lustre des siècles

en boucle la crise

comme une ritournelle

une toupie folle qui pivote

sur elle-même

la vérité crue claque

le sort de l’immanence

dans ma tête l’image

du blanc qui devient noir

du bloc de glace à la dérive

la vue de l’ours sur ce bloc

la vue de

icône immaculé

seul sur son bout de banquise

l'animal

sur son bout d’Arctique à la dérive

l’ours dans son pôle

voguant vers la mort

l’image se creuse dans ma tête

la vue de cette bête

en perte de vitesse

la peau polaire qui fond

trop vite sur les os

en guise de départ

d’abandon

le seuil du rivage s’esquive

sous le poids terrible de l’eau

et même si je ferme la bouche

le sel l’eau

et même si je ferme les yeux

très fort

je ne peux empêcher la dérive

la perte

la liquéfaction

et même si l’image de la banquise

de l’ours

du sol gelé

existe loin de moi

même si je n’ai jamais foulé

la glace millénaire

même si je n’ai jamais vu l’ours

j’avale à pleine gueule

la destruction

je répète debout à l’infini

le même message

la faille s’élargit

la fonte s’accélère

à cause de moi

à cause de cette envie folle

de dévorer ce qui ne se mange pas

de dévorer jusqu’à la fin

à cause de toi

à cause de moi

à cause de la folie qui se perpétue

en boucle à l’infini

des siècles et des siècles durant

à cause de toi

et si je pars en courant

la course pour fuir la course

pour sentir l’air se refroidir

sur ma peau

pour sentir mon pouls battre

à tout rompre

je ne peux stopper

cette liquéfaction des pôles

colmater les fuites de la fonte

je ne peux que m’unir à la terre

appeler à la révolte des fluides

à la résistance du souffle

à la volonté de durer

de perdurer

tant que l’Arctique n’a pas expiré

tant que la glace luit encore

tant que l’ours reste accroché

tant que le sol tient toujours

sous nos pas

des siècles et des siècles durant

la volonté de

perpétuer

la vie

de

persister

dans l’étreinte

dans le même désir terrestre

de

survivre

survivre

la fonte, poème de Frédérique Dubé / Laboratoire de création en arts littéraires, Maison de la littérature, Québec, 2023, avec Yannick Guéguen, mentor / son de fond : le chant des glaciers, Ugo Nanni, CC-BY

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